" – Peu importe d’où l’on vient. Il n’y a pas de tonique. Le thème et son développement ne sont qu’un mirage…
Il y a une musique toujours inattendue.
– Et les dissonances ?
– Dieu les a créées, elles aussi…"
Jaume Cabré - "Voyage d'hiver" - 2014

”La terre, il se pourrait bien après tout que ce soit une espèce
de merveilleux petit appareil enregistreur, plaçé là par on ne sait qui,
pour capter tous les bruits qui circulent mystérieusement dans l’Univers.”
Pierre Reverdy - ”En vrac” - 1929

”J’entends tous les bruits de la terre grâce à mes oreilles et mes nerfs de cristal
dans lesquels circulent le feu du ciel et celui des volcans.”
Michel Leiris - ”Le point cardinal” - 1927

"L'écoute, c'est l'ombre de la composition"
Pascal Dusapin - 2008

 

13/03/2022

Paroles gelées


















En 1548 Rabelais fait mention dans son Quart Livre de l'audition, aux confins de la Mer Glaciale, de paroles et bruits "gelés" au cours d'une bataille, au début de l'hiver, et qui "dégelaient". 
Dans ses Mémoires, Alexandre Dumas père parle de M. de Crac dont les paroles "gèlent" en hiver pour se "dégeler" au printemps.
***

 "Icy est le confin de la mer glaciale, sur laquelle feut, au commencement de l’hyver dernier passé, grosse et félonne bataille entre les Arismapiens et les Nephelibates. Lors gelèrent en l’air les parolles et crys des hommes et femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnaoys, des bardes, les hannissements des chevaulx et tout aultre effroy de combat. A ceste heure, la rigueur de l’hyver passée, advenente la sérénité et tempérie du bon temps, elles fondent et sont ouyes...
...
Et y veids des parolles bien picquantes, des parolles sanglantes, lesquelles li pilot nous disoit quelques foys retourner on lieu duquel estoient proferées, mais c'estoit la guorge couppée, des parolles horrificques, & aultres assez mal plaisantes à veoir. Les quelles ensemblement fondues ouysmes, hin, hin, hin, hin, his, ticque torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr, frrr, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, On, on, on, on ououououon: goth, mathagoth, & ne sçay quels aultres motz barbares, & disoyt que c'estoient vocables du hourt & hannissement des chevaulx à l'heure qu'on chocque, puys en ouysmez d'aultres grosses & rendoient son en degelent, les unes comme de tabours, & fifres, les aultres comme de clerons & trompettes."

 illustration d'Albert Robida - "La science illustrée" N°370 - décembre 1894

"... Ici est le[s] confins de la mer glaciale, sur laquelle fut, au commencement de l'hiver passé, grosse et cruelle bataille. Lors gelèrent en l'air les paroles et cris, les chocs des armures, les hennissements des chevaux et autres vacarmes de combat. A cette heure, la rigueur de l'hiver passée, le temps chaud revenu, elles fondent et sont entendues.
- Tenez, dit Pantagruel, regardez celles-ci qui ne sont pas dégelées.
Il nous jeta alors à pleines mains des paroles gelées et qui semblaient des dragées de diverses couleurs. Nous y vîmes des mots de gueule, des mots d'azur, des mots de sable, des mots dorés, lesquels, quelque peu échauffés entre nos mains, fondaient comme neige, et nous les entendions réellement: mais c'était langage barbare. Excepté qu'il y en avait un plus gros, que frère Jean avait échauffé entre les mains, qui fit un son comme des châtaignes jetées dans la braise lorsqu'elles éclatent: c'était, dit frère Jean, un coup de canon en son temps. Il en jeta encore trois ou quatre poignées. On y vit des paroles piquantes, des paroles sanglantes proférées par une gorge coupée, des paroles horribles et autres déplaisantes à voir. D'autres en dégelant rendaient des sons comme tambours, clairons ou trompettes. Nous entendîmes moult miaulements qui étaient comme langage humain..."
 
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&, for this occasion, don't forget to listen to the "Ice Part" of the radio show "Epsilonia" on Radio Libertaire 
 
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