" – Peu importe d’où l’on vient. Il n’y a pas de tonique. Le thème et son développement ne sont qu’un mirage…
Il y a une musique toujours inattendue.
– Et les dissonances ?
– Dieu les a créées, elles aussi…"
Jaume Cabré - "Voyage d'hiver" - 2014

”La terre, il se pourrait bien après tout que ce soit une espèce
de merveilleux petit appareil enregistreur, plaçé là par on ne sait qui,
pour capter tous les bruits qui circulent mystérieusement dans l’Univers.”
Pierre Reverdy - ”En vrac” - 1929

”J’entends tous les bruits de la terre grâce à mes oreilles et mes nerfs de cristal
dans lesquels circulent le feu du ciel et celui des volcans.”
Michel Leiris - ”Le point cardinal” - 1927

"L'écoute, c'est l'ombre de la composition"
Pascal Dusapin - 2008

"Go, go, go! ... Go! go! ..."
John Lee Hooker"

 

19/04/2019

L'oxymoron d'Arcueil


Un excellent dossier autour de la figure d'Erik Satie
réalisé par Joséphine Ducat dans le cadre de ses études aux Beaux-Arts de Paris.


"Tout corps plongé dans un fluide éprouve une poussée verticale, dirigée de bas en haut, égale au poids du fluide qu’il déplace et appliquée au centre de gravité du fluide déplacé, ou centre de poussée. » L’exposé physique de la poussée d’Archimède appliqué à Erik Satie donnerait : le compositeur dissimule par des artifices multiples sa pensée de fond, mais par une poussée exactement inverse et de même intensité, l’esprit réapparaît de lui seul et par sa propre force à la surface...
Nous dresserons un portrait du compositeur par le minuscule et l’insignifiant, qui, en creux (comme il se doit avec Satie), permettra d’aborder la poésie et la beauté simple qui habite sa pensée. Nous avons constitué un ensemble de petits chapitres, comme autant d’articles sur un élément particulier qui noue superficialité et profondeur, dans l’idée de dresser un portrait, à sa manière cubiste, d’Erik Satie."
Joséphine Ducat - en préambule à son travail



Les différents chapitres exposés:
- Visite à Arcueil, (de l’aura d’Erik Satie en tant que vivant & défunt)
- Un cas d'école (comment cet original s’est tenu bien loin de tout académisme, en commençant par celui de son époque, le wagnérisme)
- Maître de chapelle (sur l’esprit communiste du compositeur)
- Le bon fauteuil (à propos de la candidature de Satie pour occuper un fauteuil à l'Académie des Beaux-Arts et de l’usage d’un certain mobilier musical)
- Le château de fonte  (des diverses lubies de Satie et son obsession à dessiner des châteaux)
- La phonométrie* (où il est montré que Satie fait preuve volontairement de simplicité dans son travail de composition)
- Nudités  (de la stratégie de camouflage de Satie aux antipodes de ses recherches musicales. Satie revendique comme « Maître », M. de La Palice, et ainsi œuvre-t-il à travers ses compositions et ses pensées)
- Le placard  (des costumes de Satie et de son esprit des panoplies)
- Instantanéité (où il est dit que Satie s'emploie à créer une oeuvre qui altère les conditions d'écoute et de représentation)...

* "La phonométrie est “amnésique” de la pensée musicale et de la pensée tout court." Jean Pierre Armengaud
 


extraits du chapitre "Le bon fauteuil" 
...
Satie écrit en effet une série de compositions dite « Musiques d’Ameublement » : Chez le bistrot et Un Salon (en 1920), Tapisserie de fer forgé, Teinture de cabinet préfectoral et Carrelage phonique (en 1923). Ces compositions sont toutes bâties sur le même patron : une phrase musicale répétée en boucle qui ne connaît ni prélude, ni apogée dramatique, ni même dénouement (heureux ou tragique). En 1891, Satie compose déjà un leitmotiv pianistique pour accompagner la lecture du roman Le Panthée du Sâr Péladan. Socrate s’inscrit dans cette continuité : c’est une musique au service d’un texte. « Pour Mercure, [Satie] suggéra au célèbre créateur [Massine] de mettre au point la chorégraphie sans support musical ! Il imagina qu’il pourrait écrire la musique après coup, en s’inspirant des mouvements des danseurs.»
 
La « Musique d’Ameublement » crée une atmosphère. Elle suppose une activité contiguë à celle de l’orchestre, rythmant cette boucle installée dans un effet d’éternité. Le drame se déroule donc du côté du vrai, de la vie...

La musique devient un meuble et, loin d’être une oeuvre, elle est soumise aux lois du marché avant tout. Erik Satie peut donc faire commerce de sa composition : la « Musique d’Ameublement» fait partie du genre mobilier. Cette manière de composer renvoie la concentration du public sur lui-même. Satie veut capturer et observer ses spectateurs à travers la musique. Comme un miroir en médaillon, le bouffon d’Arcueil affiche un autoportrait à la hauteur de ce que les spectateurs veulent bien être. Une version tonale du 4’33’’ de John Cage, la partition n’est qu’un « fond sonore à des bruits suggestifs »...

La présentation au public des « Musiques d’Ameublement » – le test – se déroule à la galerie Barbazangues, le 8 mars 1920, à l’occasion de la création de Ruffian toujours, truand jamais de Max Jacob. Pierre Bertin – autrement connu pour avoir interprété le Président Adolphe Amédée Delafoy dans les Tontons Flingueurs (1963) de Georges Lautner – présente ici l’événement :
« Nous vous présentons pour la première fois, par les soins de MM. Erik Satie et Darius Milhaud, et sous la direction de M. Delgrange, la musique d’ameublement, pendant les entractes de la pièce. Nous vous prions instamment de ne pas y attacher d’importance et d’agir pendant l’entracte comme si elle n’existait pas. Cette musique […] prétend contribuer à la vie, au même titre qu’une conversation particulière, qu’un tableau de la galerie, ou que le siège sur lequel on est, ou non assis. Vous en ferez l’essai. MM. Erik Satie et Darius Milhaud se tiennent à votre disposition pour tous renseignements et commandes. »
 
Le baptême de la Musique d’Ameublement est un échec. Toute l’assemblée s’est tenue assise, attentive et docile devant l’interprétation cyclique de l’orchestre. Satie avait beau gesticuler et donner de
la voix pour déconcentrer son public, la mayonnaise n’a pas pris. C’est la seule Musique d’Ameublement jouée du vivant du compositeur.
...

Erik Satie - portrait par Marcellin Desboutin - 1893

---

A télécharger le document complet en pdf  (31 pages)


Lizica Codreanu (1901 – 1993) 
photographiée dans l’atelier de Constantin Brancusi.
La danseuse porte le costume dessiné par Brancusi 

pour les Gymnopédies, 1922.

---

2 pièces méconnues pour piano:
"Caresse" et "Je te veux"





 

***

Aucun commentaire: