Le Skrikodrome, un nouveau mobilier urbain...
Le
travail d'Olivier Nourisson est littéral, il nous réunit pour que nous
improvisions cette réunion. Le 29 août à la Générale en Manufacture
(Sèvres), Nourisson profitait du vernissage de l'expo maya.rouvelle pour
inaugurer dans la cour son Skrikodrome,
mobilier urbain. Une cabine gris béton de 300 x 100 x 100, poignée de
porte comme une roue de coffre-fort, sur le toit un haut-parleur trompe
dressé vers le ciel. L'intérieur est capitonné de mousse à picot ( grise
elle aussi), face à nous un micro serti d'un grand disque d'argent. Il
faut entrer. Dés l'ouverture de la porte, le microphone amplifie chaque
son produit rendant la boîte hypersensible, tout vibre et grésille.
Refermer la porte derrière vous et cela cesse. Vous êtes seul
maintenant, totalement isolé, protégé, les bruits extérieurs ne vous
parviennent plus, l'amplification a disparu, vous êtes bien. Si vous
avez eu une explication vous savez que le Skrikodrome est un défouloir
urbain, que vous êtes censé y crier. Ne vous gênez pas, criez!... ou
pas.
Certains ont chanté, ont récité, certains y entrant à plusieurs ont
discuté. Très vite le Skrikodrome devient un diffuseur urbain que
l'intimité de la cabine rend prolixe et foisonnant. On reste autour, on
attend son tour, on y retourne, on ouvre la porte pour s'adresser
"directement" à ceux du dehors qui écoutent, attendent. Le/les
locuteur/s se projette/nt dans la multitude, disparaissant de soi pour
n'être que voix. De chaque côté de la porte, on oublie. Quand il
ressort, celui qui diffusait depuis la boîte, qui n'était que sons (au
début était le verbe), acquière un corps, réintègre son corps, il
s'incarne (une sorte de Jésus de Sabbat) et nous revient.
Nous
revient ? Pourtant quand quelqu'un ressort d'une cabine (douche,
confessionnal, photomaton, isoloir) il garde son secret, ce qui s'est
passé sans nous ne saurait être divulgué que par l'aveu ou la
confidence. C'est tout un contraire qui se fait ici. Le moindre son
produit dans la cabine du Skrikodrome est diffusé à l'extérieur à un
volume élevé (nous y reviendrons), tout s'expose, se livre, la vie de la
cache est amplifiée, elle n'est pas volée, sournoisement dévoilée, elle
est offerte. Plus qu'une exposition de soi ou un théâtre immédiat, il y
a un don de soi, un don absurde et gratuit, un don simple, une mise à
nu d'enfant ("t'u nu", dit-elle à ses parents en arrivant dans la
forêt).
Cependant
Il y a toujours dans le travail d'Olivier Nourisson un excès un outrage
un conflit un ding. Le don via le Skrikodrome ne se fait pas
discrètement. Nous l'avons dit l'amplification est importante, le volume
est élevé. Le Skrikodrome est prévu pour crier et avoir son cri
amplifié, une amplification maximum et si les visiteurs de ce 29 août à
la générale se sont immédiatement réappropriés, ont immédiatement
détourné (alléluia! criaient les païens) l'objet et sa fonction, le
volume élevé de la diffusion est resté le même, personne n'a eu envie de
le modifier. Ce qui est diffusé prend une épaisseur singulière bombardé
qu'il est par le volume, quand l'émetteur isolé dans la cabine (même
s'il pousse un cri fort et long) est dans un rapport d'intimité et alors
qu'il s'active dans le secret de sa chambre, ce qui est délivré
dérange, prend la place de, coupe la parole, s'impose… ou se fond. Tout
prend fonction de prière de discours et de déjà passé. Reste (entre
autres, certainement) le secret de la divulgation d'un secret: que se
passe-t-il donc dans cette chambre qu'on le transmette instantanément à
nous tous ? Entrez…
Frédéric Danos
"Olivier Nourisson est le Diogène de l'art contemporain, le Nietzsche de la performance, le Oury du bricolage..."